Parcours initiatique

La réalité altérée met en scène les angoisses perpétuelles liées aux phobies et aux cauchemars, plongeant le spectateur dans un voyage malsain, vers l'inconnu et l’autre monde. On a déjà pu noter que le basculement d’un univers à l’autre se fait par un passage obligé dans l’esprit du sujet. Ainsi la compréhension de l’altération ne sera possible qu’une fois ce véritable parcours initiatique mené à son terme. Le médium du jeu vidéo se prête parfaitement au concept de parcours initiatique. On l’appel, dans ce domaine, le didacticiel, c’est-à-dire une séquence présentant physiquement le personnage ainsi que l’environnement dans lequel il se déplace. Le chemin qu’emprunte Henry Spencer de Eraserhead dans les méandres de la zone industrielle où il vit constitue ce didacticiel. De plus, la scène d’introduction qui montre la tête du personnage principal  faisant éclipse devant une boule de terre,  apparaît comme le début d’un parcours initiatique.

Le passage par le parcours initiatique ne peut pas se faire sans concession ni douleur. L’esthétique du glauque est muée par la volonté d’éveil des consciences. L’altération n’est là que pour faire réagir et agir le sujet. Son affect et son ego doivent être bousculés par l’horreur et le trouble qu’elle engendre pour qu’il puisse être satisfait de sa propre réalité.  

Nous vivons ce parcours initiatique par procuration car nous suivons le personnage acteur de l’histoire glauque. Une identification est donc nécessaire et passe par la perception du corps du personnage. Le choix de la troisième personne pour la représentation du joueur d’un jeu vidéo, si elle est un héritage des premiers jeux du genre, est plus efficace qu’une représentation subjective, où il n’y a plus de personnage auquel s’identifier, et dans laquelle contrairement à ce qu’on pourrait penser, on est moins impliqué. Le sentiment voulu n’est donc pas l’immersion dans l’action, mais au contraire la mise à distance qui permettra une prise de conscience de notre propre condition.

On pourrait résumer la finalité de ce parcours initiatique entrepris dans l’univers glauque de la réalité altérée par cette formule :  pour comprendre ce que tu possèdes, vois ce que le monde serait si tu ne l’avais plus tout à fait.

La réalité altérée, de par le succès du jeu vidéo Silent Hill, semble être une réponse à la curiosité malsaine ou morbide qui motive le spectateur. La mise en scène de ce monde désolé, dévasté, atroce et putréfié incarne finalement la fascination de la mort sous sa forme la plus sublimée. La mort, obsédante et insondable, semble ici nous tendre la main, nous appeler. On pourrait penser que c’est elle qui nous guide dans ce parcours initiatique. Le sujet est envoûté par l’énigme que le glauque lui donne à voir. L’altération doit être menée à son terme pour que l’énigme soit résolue. Mais ce ne sera pas, pour le joueur, une finalité en soi, tant elle sera sujette à interprétations. Les différents opus de la saga Silent Hill proposent toujours plusieurs fins, ce que l’on nomme des fins alternatives. Le scénario est subtilement construit de façon à ne délivrer au joueur  que ce qu'il doit savoir, ne lui montrant qu'une des possibles vérités, tant et si bien que l'on ne peut  parler de Vérité.

Peut-être est-ce là la fourberie de ce parcours initiatique que l’on envisage trop comme une quête de la Vérité alors que rien ni personne ne peut apporter la réponse suprême et unique aux questionnements de l’âme. D’autres se sont essayé à ce pèlerinage dans l’univers glauque et, à défaut de posséder aujourd’hui le savoir divin de la Vérité, semblent avoir trouvé leur élément. Les nombreux artistes répondant aux critères d’une esthétique du glauque ont très certainement  ouvert les voix de ce parcours initiatique dont nous avons commencé à suivre les étapes.