Entre mysticisme et manipulation

La figure du pouvoir est nécessairement liée à la notion de manipulation. Ces entités deviennent alors divines, accomplissant l’œuvre prophétique d’un commandement céleste.

L’univers altéré est gouverné par l’ésotérisme. Dans Silent Hill ont lieu des évènements surnaturels aux origines mystico-religieuses. L'ambiance du jeu, oppressante et mélancolique à la fois, combine parfaitement ces deux tendances malgré une difficulté certaine à les faire cohabiter. Pour le jeu comme pour le film dont il s'inspire en partie, la thématique explorée est celle du concept de l'échelle de Jacob, et la religion et les croyances diverses y tiennent une place omniprésente. Que ce soit en descendant un escalier, une échelle ou en plongeant dans un trou obscur qui semble sans fond, le personnage principal est voué, dès le départ, à une traversée de l'au-delà, au-dessus de tout concept de mort tel que nous le connaissons en tant qu'Occidentaux. Les développeurs n'ont pas hésité à s'inspirer des mythes et croyances européens lors, par exemple, de la traversée de la rivière adjacente à Silent Hill, qui suggère au joueur la traversée du Styx, le fleuve des enfers dans la mythologie Gréco-Romaine de l'antiquité. A cette différence près que durant cette scène très longue et angoissante, c'est James qui dirige lui-même la barque, il est son propre passeur. Le thème de la mort, inhérent au concept de l’esthétique du glauque, revient très souvent dans le scénario ou l’imagerie du jeu puisque, après tout, Silent Hill est une ville fantôme. Les croyances liées à la mort en Asie, et plus particulièrement au Japon, sont cependant quasi-inexistantes. Peut-être doit-on y voir la volonté d'occidentaliser l'histoire afin de séduire un public plus large.

Le caractère mystique des figures du pouvoir conduit à l’idolâtrie de l’individu. Les autorités divines sont sans cesse sollicitées dans l’univers altéré parce qu’elles sont de possibles sauveurs.

The Hierophant de Chad Michael Ward, 2006, présente, de façon plus conceptuelle, un homme-oiseau biblique, religieux. Une âme pieuse aux yeux bandés lave soigneusement avec du sang épais et oxydé les pieds de ce simili dieu nu, assis dans un fauteuil roulant. Dans cette scène prémisse à un potentiel miracle récompensant la ferveur de cette croyante aveuglée, l’homme au masque de feutre conique pointant vers la malheureuse est un véritable dieu. Il incarne la foi et l’abnégation qui a transcendé la mort dont il porte les marques nécrosées sur la peau. Ce personnage nommé hiérophante évoque le patronyme magique d’une créature de la mythologie égyptienne, l’oiseau ayant souvent un rôle de passeur vers l’au-delà. Le hiérophante est un prêtre qui explique les mystères du sacré à ses disciples. Dans l'Antiquité grecque, le mot désignait plus particulièrement le prêtre qui présidait aux mystères d'Éleusis et instruisait les initiés. Ce titre est aussi employé dans les rites maçonniques égyptiens. Ici, le docteur, le prêtre et le dieu sont étroitement liés, ils incarnent tous une figure du pouvoir.

Dans Silent Hill, le personnage horrifique du deuxième volet, qui fait office de boss, se nomme Red Pyramid Thing. Il ressemble à un boucher des enfers, traînant son immense couteau rouillé, et porte une longue robe jaunie et imbibée de sang. C’est cependant un personnage clairement masculin, ce qui n’est pas aussi facilement identifiable pour les nombreuses autres créatures de Silent Hill. Sa tête est enfermée dans un immense casque pyramidal, sans la moindre ouverture, ce qui laisse suggérer qu’il ne se sert pas de ses yeux pour voir. Il s’agit d’un dispositif punitif, un carcan douloureux et lourd à porter. Tête de Pyramide, comme on peut le voir appelé, ne parle pas, tout juste gémit-il à l’intérieur de son casque. Il n’a aucune raison d’être doué de la parole puisque c’est une créature qui n’a aucune raison, aucun but. Il n’est mué par aucune quête, si ce n’est un esprit de destruction et une volonté perverse de provoquer la souffrance. La colère et le désir réprimés par James, le personnage principal, d'être puni pour la mort de son épouse sont ce qui contraint Tête de Pyramide à le poursuivre. Ce personnage fait aujourd’hui partie intégrante du folklore de Silent Hill. C’est ici la figure du bourreau, comme on peut le voir sur le tableau virtuel que James rencontre dans le jeu. Dans l’adaptation cinématographique de Silent Hill par Christophe Gans, Red Pyramid Thing empoigne une paroissienne égarée sur le parvis de l’église, comme une petite poupée de chiffon. Après lui avoir enlevé ses vêtements d’une seule main, dans un geste d’une violence ahurissante il arrache la peau de la jeune fille. Le costume de tissus sanguinolents virevolte dans les airs et la victime cesse de gesticuler.

Les œuvres de l’esthétique du glauque fourmillent de références bibliques.


               

Le Christianisme produit indépendamment de l’esthétique du glauque des images cathartiques qui mettent en scène l’idée de souillure. Julia Kristeva examine ensuite l'approche judaïque, l'approche chrétienne de la souillure. L'approche biblique s'attache à constituer des identités strictes sans mélange, à partir des tabous alimentaires, de la mort et de l'inceste. « L’impureté biblique est imprégnée de la tradition de la souillure ». L'approche chrétienne inversera le système pur/impur en dedans/dehors: Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui profane l'homme, mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui profane l'homme. « Avalée, résorbée pourrait-on dire, la souillure chrétienne est en cela une revanche du paganisme, une réconciliation avec le principe maternel.»  Le parcours initiatique du glauque propose ici un acte purgatif de l’âme et du corps. « Le rite de purification […] interdit l’objet sale, l’extrait de l’ordre profane et le double immédiatement d’une dimension sacrée.»

En montrant les immondices engendrées par l’esthétique du glauque, l’acte créateur les sublimes et les transcende, en faisant désormais de réelles icônes.


               

Beaucoup de symboles utilisés par Manson ont une connotation avec la religion ou le satanisme: Le shock-logo, les paroles et les symboles, le chiffre 6 notamment, , les allusions aux anges, la croix en feu de la pochette de The Last Tour on Earth, toutes les allusions à la Bible, l'agneau de Dieu, la crucifixion notamment dans Holy Wood et à Dieu directement. Il est donc évident que Manson est très influencé par la religion, c'est même sa principale source d'inspiration et de critique, mais il se défend parfois d'être sataniste au sens de "vénérer Satan". Ainsi, dans une interview télévisée a-t-il déclaré que tous les mots finissant par -isme sont intéressants pour lui: christianisme, bouddhisme, satanisme... Il pense qu'il vaut mieux prendre le meilleur de toutes ces idéologies pour faire soi-même sa propre religion et penser par soi-même; c'est d'ailleurs pour lui le vrai sens du satanisme, "Sois ton propre Dieu, penses par toi-même". 
Marilyn Manson affirme que « le christianisme rend coupable par rapport à certaines facettes de la personnalité et le satanisme permet d'exprimer les désirs naturels de chacun en toute sérénité. J'incarne les contradictions de tout individu. Je n'ignore rien de la Bible, je la réécris. Il existe des forces et certains humains sont nés avec un pouvoir. Que quelqu'un imagine un bidule pareil et le produise en série me semble relever de la magie. La seule chose réelle est le talent. Mon interprétation du satanisme est une théorie de l'évolution, la survie des plus forts, la préservation de soi, l'affirmation de son individualité et de ce en quoi tu crois. Dieu et Satan n'ont pas grand chose à voir avec cette philosophie, je parlerais plutôt d'humanisme. Satan représente seulement la rébellion car Dieu représente le statu quo. »

Les images de la réalité altérée, définies par les préceptes que nous avons  déterminés jusqu’à présent, nous montrent que l’esthétique du glauque à un rôle purificateur. Cette forme d’art n’est plus une simple illustration d’un nouveau monde mais un phénomène rédempteur qui nous sauve, tel un messie, du désastre promis par l’évolution humaine. Joel Peter Witkin se fait le porte-parole de cette quête d’absolution : « Je pense que l’art n’est pas fait pour la distraction, ni pour l’amusement […] L’artiste se doit d’être aussi pur qu’un saint, son rôle est de sublimer notre conscience. La création est comme un acte de purification, une forme de sanctification. »